Psychologie
Laura Lizama
24 oct. 2025
Ah, ces émotions qu’on veut jeter à la poubelle !
Quand les neurosciences nous rappellent qu’être “trop sensible” n’existe pas...
“Tu es trop sensible”, “Tu en fais trop”, “Ressaisis-toi”
Combien de fois as-tu entendu ces phrases ? Au travail, dans ta vie perso, peut-être même dans ta propre tête ?
Combien de fois as-tu refoulé tes larmes en réunion, ravalé ta colère face à ton manager, caché ton stress derrière un sourire professionnel ?
Combien de fois as-tu pensé que le problème, c’était toi ? Que tu étais “trop”, alors que d’autres semblaient gérer “normalement” ?
Laisse-moi te dire quelque chose d’important : ce n’est pas toi le problème. C’est cette société qui refuse de comprendre comment fonctionne réellement ton cerveau.
J’ai assisté récemment à une conférence passionnante d’Anne-Laure Nouvion, docteure en biologie et experte en neurosciences, intitulée “Le cerveau des émotions : de la naissance à l’âge adulte”. Et ce que j’y ai appris m’a profondément impactée.
Parce que les neurosciences nous le disent clairement : tes émotions ne sont pas une faiblesse. Elles sont un signal. Et comprendre ce signal peut changer ta vie.
✈️ Deux pilotes à bord de ton cerveau : pourquoi tu ne “choisis” pas tes émotions
Anne-Laure Nouvion utilise une métaphore puissante dans son livre “Accompagner le changement avec les neurosciences : Deux pilotes à bord d’un cerveau” (Dunod, 2024) : imagine que ton cerveau fonctionne avec deux pilotes.
Le pilote protecteur : c’est ton système émotionnel, celui qui ressent toutes les émotions. C’est une réaction physiologique automatique. Tu ne peux pas ne pas les ressentir. Tes émotions ne se contrôlent pas, elles arrivent. Point.
Le pilote exécutif : c’est ton cortex préfrontal, la partie qui analyse, réfléchit, régule. C’est lui qui va réguler ce que fait le pilote protecteur.
La différence entre “gestion” et “régulation” est fondamentale. Tu ne gères pas une émotion comme tu gères un dossier. Tu la régules. C’est-à-dire que tu accueilles le signal, tu le comprends, et tu choisis comment y répondre.
Le problème ? On nous a appris à ignorer le pilote protecteur. À le faire taire. À le considérer comme un emmerdeur qu’il faut museler. Pire, on n'a pas appris à bien utiliser le pilote exécutif.
Résultat : on est coupé de nos signaux internes. On fonctionne en mode survie. Jusqu’au jour où le système s’effondre.
🐣 Ta mémoire émotionnelle : elle était déjà là avant ta naissance
Voici quelque chose qui m’a sidérée lors de cette conférence :
L’amygdale, la structure cérébrale responsable de la mémoire émotionnelle, est déjà mature au niveau fœtal.
Tu as bien lu. Avant même de naître, ton cerveau enregistre des émotions.
Des chercheurs ont montré que l’amygdale stocke les souvenirs émotionnels de manière durable et inconsciente. Pendant la grossesse, si ta mère a vécu des situations de stress intense, ton amygdale l’a enregistré. Des études indiquent que le stress anténatal augmente le risque de vulnérabilité ultérieure aux événements stressants via la mémoire implicite liée au système amygdalien.
Puis, vers 2-3 ans, l’hippocampe devient mature. C’est lui qui permet la mémoire factuelle, celle dont tu te souviens consciemment. C’est pour ça qu’il est si difficile de se rappeler des événements avant cet âge.
Mais devine quoi ? Ton amygdale, elle, se souvient. Pas factuellement. Émotionnellement.
C’est pour ça que tu peux avoir des réactions émotionnelles intenses face à des situations dont tu ne te “souviens” même pas consciemment. Ton corps se souvient. Ton amygdale se souvient.
🧠 Les traumas d’enfance : quand ton cerveau apprend à survivre plutôt qu’à vivre
Anne-Laure Nouvion a abordé un sujet essentiel : les traumatismes précoces et les carences affectives.
Un trauma, c’est tout ce qui porte atteinte à l’intégrité d’un enfant avant l’âge de 7 ans. Ça peut être des traumas répétés (violences physiques et verbales, négligences), des traumas brutaux (accidents, deuils), mais aussi des “petits drames d’enfant” : perdre son doudou, être séparé de ses parents, ne pas être consolé.
La différence pour les petits traumas ? Ce n’est pas l’événement en soi. C’est comment l’adulte a réagi à ce moment là qui détermine l’impact sur le cerveau de l’enfant.
Des recherches ont démontré que les traumatismes répétés et/ou brutaux de l’enfance entraînent des anomalies du développement cérébral : modification du fonctionnement hormonal, réduction du développement de l’hippocampe, de l’amygdale et du cortex préfrontal.
Concrètement ?
Chez les enfants ayant vécu ces traumas :
Le cortex préfrontal peut être moins actif : ils arrivent moins bien à réguler leurs émotions
L’amygdale peut être suractivée : hypervigilance permanente, réactions émotionnelles intenses
L'hippocampe peut-être sous développé…
Les conséquences ? Nervosité, hypervigilance, inhibition émotionnelle, PTSD, dépression, anxiété, comportements antisociaux, troubles de l’addiction, difficultés relationnelles.
Et là, on te dit que tu es “trop sensible” ? Non. Tu n’es pas trop sensible. Ton cerveau a appris à survivre dans un environnement qui n’était pas sûr.
👩🏽🦰👨🏽🦱👧🏻 Marie, Thomas et Laura : ces collègues que tu juges peut-être
Marie pleure facilement en réunion. À chaque feedback un peu direct, les larmes montent. Ses collègues lèvent les yeux au ciel. “Elle est trop émotive.”
Ce qu’ils ne savent pas ? L’amygdale de Marie a enregistré des années de critiques sévères dans l’enfance. Son cerveau a appris que la critique = danger. Sa réaction n’est pas une “faiblesse”. C’est un système d’alarme qui s’est construit pour la protéger.
Thomas explose régulièrement. Un dossier en retard, et c’est l’escalade. “Il ne sait pas se contrôler.”
Ce qu’ils ne voient pas ? Thomas a grandi dans un environnement où il devait se battre pour être entendu. Son cortex préfrontal peine à réguler son amygdale suractivée. Sa colère n’est pas une “mauvaise volonté”. C’est un mode de défense.
Laura, elle, ne ressent “rien”. Toujours calme. “Elle est tellement professionnelle.”
Ce qu’on ignore ? Laura s’est dissociée de ses émotions pour survivre à des traumas précoces. Son système a appris à “couper” pour ne plus souffrir. Sa “force apparente” cache une déconnexion profonde.
Aucun d’eux n’est “trop” ou “pas assez”. Chacun porte dans son cerveau l’histoire de ce qu’il a vécu.
🧠 Les trois piliers d’un cerveau émotionnellement sain
Anne-Laure Nouvion a insisté sur un point essentiel : notre cerveau se construit avec les autres.
Pour qu’un enfant développe une bonne régulation émotionnelle, il a besoin de trois piliers :
1. L’amour (et le toucher)
Le contact physique est vital. Le peau-à-peau, les câlins, les massages… tout cela active des circuits neurologiques essentiels. Le toucher bienveillant active le système parasympathique, régule les émotions, diminue l’anxiété.
2. La guidance (un cadre sécurisant)
Les enfants ont besoin de repères : des limites claires, des normes. Ce cadre aide le pilote exécutif à se développer et à apprendre à réguler les émotions. Le problème ? La course effrénée du métro-boulot-dodo fait que ce cadre est souvent mis à mal puisque l'on termine la journée épuisé sans l'énergie nécessaire pour gérer une énième crise de doudou perdu ...
3. L’empathie (se mettre à hauteur)
Les enfants ne sont pas des mini-adultes. Leur cerveau est en construction. Ils ne peuvent pas “se calmer tout seuls” avant 5-7 ans. Verbaliser les émotions, expliquer ce qui se passe : tout cela calme l’amygdale et aide le cerveau à se développer sainement.
🦸🏾♀️ L’intelligence émotionnelle : le super-pouvoir qu’on ne t’a jamais appris
Anne-Laure Nouvion définit l’intelligence émotionnelle ainsi : “La capacité de percevoir l’émotion, de l’intégrer (en prendre conscience mentalement) pour la comprendre et la réguler.”
Ce n’est pas une question de “ne plus ressentir”. C’est une question de savoir quoi faire avec ce que tu ressens.
Les psychologues Peter Salovey et John Mayer, pionniers du concept, puis Daniel Goleman qui l’a popularisé, ont montré que l’intelligence émotionnelle repose sur plusieurs compétences :
Percevoir : reconnaître les émotions chez soi et chez les autres
Comprendre : analyser la dynamique émotionnelle
Réguler : influencer l’expérience émotionnelle sans la refouler
Et voici la bonne nouvelle : l’intelligence émotionnelle se développe. Grâce à la neuroplasticité du cerveau, tu peux à tout âge renforcer les connexions entre ton système limbique et ton cortex préfrontal.
👔 Pourquoi c’est crucial au travail
Le virus le plus contagieux, c’est le virus de la peur.
Anne-Laure Nouvion l’a rappelé : les émotions sont contagieuses. Dans un collectif, elles se propagent comme un feu de forêt.
Une synchronisation émotionnelle négative génère de l’absentéisme, de la démotivation, du désengagement. À l’inverse, une convergence émotionnelle positive améliore la performance collective.
Selon une étude de la Harvard Business Review, une personne émotionnellement intelligente a trois fois moins de risques de faire un burn-out. Elle prend de meilleures décisions sous pression, est plus créative et moins sujette aux addictions.
En entreprise, les conflits sont souvent responsables de la baisse de performance. Pas à cause d’un manque de compétences techniques. Mais à cause de problématiques relationnelles non régulées.
Former les équipes à l’intelligence émotionnelle, ce n’est pas du “développement personnel de luxe”. C’est une nécessité stratégique.
👟Quatre pistes concrètes pour devenir un athlète du bonheur
Oui, tu as bien lu : être heureux, c’est être un sportif de haut niveau.
Ça prend du temps. Ça demande un entraînement quotidien. Mais ça marche.
1. Identifie tes déclencheurs corporels
Quand tu ressens de la peur, de la tristesse, de la colère : où ça se passe dans ton corps ? Un nœud à l’estomac ? Une boule dans la gorge ? Les épaules qui se crispent ?
Prends l’habitude de scanner ton corps. Ces sensations sont des indices précieux.
2. Repère tes déclencheurs cognitifs
Quelles sont les pensées qui accompagnent tes émotions ? “Je ne vais pas y arriver”, “Personne ne me comprend”, “Je suis nul·le”…
Ces pensées automatiques te donnent des informations sur les croyances limitantes qui pilotent tes réactions.
3. Identifie le besoin caché derrière l’émotion
Voici quelque chose de fondamental :
On croit que la pensée entraîne l’émotion. En réalité, l’émotion est le signal d’un besoin.
Tu es en colère ? Peut-être que ton besoin de respect n’est pas satisfait.
Tu es triste ? Peut-être que tu as besoin de réconfort.
Tu as peur ? Peut-être que tu as besoin de sécurité.
L’émotion n’est pas le problème. C’est la boussole qui te montre ce dont tu as vraiment besoin.
4. Entraîne ton cerveau quotidiennement
Quelques exercices simples :
La respiration profonde : elle active ton système parasympathique et calme ton amygdale
La méditation : elle renforce les connexions entre ton cortex préfrontal et ton système limbique
L’affect labelling : nomme tes émotions pour diminuer leur intensité
Le journal émotionnel : écris ce que tu ressens
🏷️ Attention aux étiquettes : tu n’ES pas tes émotions
Un dernier point crucial :
Arrête de dire “je suis en colère”. Dis “je ressens de la colère”.
La nuance est énorme.
Quand un enfant tape sa sœur, ne lui dis pas “tu n’es pas gentil”. Dis-lui “ton comportement n’est pas adapté”.
Parce que tu n’es pas tes émotions. Tu n’es pas ton comportement.
Tu es une personne qui ressent des émotions et qui peut choisir ses réactions.
Cette distinction change tout. Elle te libère de l’identification à tes états émotionnels. Elle te redonne du pouvoir.
❌ Rien n’est figé : la neuroplasticité, ton meilleur allié
Voici peut-être l’information la plus libératrice :
Rien n’est figé. Tout peut évoluer.
Oui, ton passé a façonné ton cerveau. Oui, tes traumas d’enfance ont laissé des traces neurologiques.
Mais tu n’es pas condamné·e à les subir toute ta vie.
Grâce à la neuroplasticité, ton cerveau peut créer de nouvelles connexions à tout âge.
Tu peux apprendre à réguler tes émotions. Tu peux développer de nouvelles stratégies. Tu peux reprogrammer tes réactions automatiques.
Mais pour ça, il faut te responsabiliser.
Comme l’a dit Anne-Laure Nouvion : “On ne choisit pas ses émotions, mais on peut choisir ce qu’on en fait.”
Tu n’es pas responsable de ce que tu as vécu enfant. Mais tu es responsable de ce que tu en fais aujourd’hui.
💌 À toi qui te sens “trop” ou “coupé·e”
À toi qui te sens “trop” : qui pleures facilement, qui t’emportes vite, qui te sens submergé·e. Tu n’es pas trop. Tu es humain·e. Ton cerveau fonctionne exactement comme il a appris à fonctionner pour te protéger. Tes émotions sont des signaux, pas des défauts.
À toi qui te sens “coupé·e” : qui ne ressens “rien”, qui fonctionnes en mode automatique. Tu n’es pas “fort·e”. Tu es dissocié·e. Et c’est une stratégie de survie que ton cerveau a mise en place. Tu as le droit de te reconnecter. Doucement. À ton rythme.
Le problème n’est pas que tu ressens (ou pas). Le problème, c’est qu’on ne t’a jamais appris à réguler.
💟 Le mot de la fin
Tu l’as compris : l’intelligence émotionnelle n’est pas une option.
C’est une compétence vitale. Au même titre que l’intelligence logico-mathématique.
Pendant des décennies, on a valorisé le QI au détriment du QE (quotient émotionnel). On a célébré la “raison” et méprisé les “émotions”.
Résultat ? Des entreprises pleines de gens brillants qui s’effondrent. Des managers compétents techniquement mais incapables de créer du lien. Des équipes performantes sur le papier mais toxiques dans la réalité.
Il est temps de remettre les émotions à leur juste place : au centre.
Pas pour les subir. Pour les comprendre. Pour les réguler. Pour en faire des alliées.
Devenir un·e athlète du bonheur, ça prend du temps. Ça demande de l’entraînement quotidien. Ça nécessite parfois de l’accompagnement professionnel.
Mais crois-moi : ça change tout.
Tu deviens plus serein·e. Plus connecté·e. Plus authentique. Plus performant·e aussi, parce que tu arrêtes de gaspiller ton énergie à refouler.
Tu apprends à écouter tes signaux internes. À identifier tes besoins. À poser tes limites. À créer des relations plus saines.
Tu passes du mode survie au mode vie.
Et ça, c’est peut-être le plus beau cadeau que tu puisses te faire !
💬 Alors ? Prêt·e à devenir un·e athlète du bonheur ?
Sources :
Anne-Laure Nouvion, “Accompagner le changement avec les neurosciences : Deux pilotes à bord d’un cerveau” (Dunod, 2024)
Conférence “Le cerveau des émotions : de la naissance à l’âge adulte” (2021)
Recherches sur l’amygdale et la mémoire émotionnelle
Peter Salovey & John Mayer - Pionniers de l’intelligence émotionnelle
Daniel Goleman - “L’intelligence émotionnelle”
Harvard Business Review - Études sur l’intelligence émotionnelle en entreprise
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