Pédagogie
Laura Lizama
23 sept. 2025
L'École française : autopsie d'un naufrage
Essai d'analyse sur l'état de l'école en France et comment éviter que nos écoles ne deviennent des musées de la nostalgie éducative
L'École française : autopsie d'un naufrage pédagogique
Quand les pansements remplacent la chirurgie reconstructrice
🚨SPOILER ALERT : Si tu pensais que notre système éducatif était juste "un peu cabossé", accroche-toi. Les chiffres que tu vas découvrir risquent de faire vaciller tes certitudes sur l'état de santé de notre belle école républicaine.
Le grand exode : quand les capitaines abandonnent le navire
🥊Commençons par les faits, brutaux comme un uppercut de Mike Tyson dans sa grande époque. Les départs volontaires d'enseignants ont explosé de 916% entre 2008 et 2021, passant de 364 à 3 698 démissionnaires par an. Pour que tu visualises bien l'ampleur du désastre : les départs volontaires des enseignants représentent désormais plus de 15% des sorties de la fonction publique, contre 2% en 2012.
Mais attends, ce n'est que le début de notre festin statistique ! Entre 2020 et 2022, les démissions ont encore augmenté de 26%.
À ce rythme-là, dans quelques années, nous pourrons transformer nos écoles en musées de la nostalgie éducative.
Et quand nos enseignants tentent de partir dignement via une rupture conventionnelle ? Près de 80% des demandes sont refusées. Imagine : tu veux quitter un bateau qui prend l'eau, mais on te refuse l'accès aux canots de sauvetage. Charmant, non ?
La fuite en avant thérapeutique : des experts, toujours plus d'experts !
Face à cette hémorragie, quelle est la réaction de nos décideurs ? Déployer des experts en santé mentale dans les établissements. Il nous faut faire de la santé mentale des jeunes une priorité nationale, en améliorant la détection des fragilités et la prise en charge des élèves, en renforçant l'appui aux équipes éducatives, annonce fièrement le ministère.
🚨SPOILER ALERT 2 : C'est exactement comme mettre un pansement sur une jambe de bois. Ne nous méprenons pas : les conseillers d'orientation (oui ceux là même qu'on n'écoute pas depuis…belle lurette !) et les experts en santé mentale ont des compétences réelles. Le problème, c'est le protocole ! Comment un expert en santé mentale peut-il efficacement accompagner des centaines d'élèves ? Comment un adolescent qui ressent de la honte à ce qu'il subit, peut-il spontanément révéler qu'il se fait harceler ?
Comment un jeune de 15 ans peut-il savoir ce qu'il veut faire plus tard ?
La vraie question n'est pas l'expertise, c'est l'approche ! Côté orientation : des formations pratiques, des mises en situation, des journées découvertes en entreprises pourraient révolutionner l'accompagnement des jeunes. Côté santé mentale : des sensibilisations collectives, des tests anonymes, des mises en situation pour apprendre à détecter les signaux faibles... et surtout, un corps enseignant formé à repérer et accompagner la détresse adolescente.
Oui je sais, cela existe. Certaines écoles font tout ce qu'elles peuvent pour le mettre en place mais…c'est encore une minorité et surtout, on ne leur donne pas de moyens ni financiers ni humains.
Pendant ce temps, la réalité du terrain ressemble à un combat de gladiateurs : un prof peut se faire insulter pendant toute l'heure de cours, et les sanctions ? Minimes, voire inexistantes. Le harcèlement ? À part l'expulsion, qu'existe-t-il ? Et l'expulsion résout-elle le problème ? Bien sûr que non, puisque le harcèlement continuera en dehors de l'enceinte scolaire.
Le déséquilibre fondamental : quand l'école devient une garderie géante
Arrêtons-nous un instant sur cette absurdité : nos enfants passent 7 à 8 heures par jour, du lundi au vendredi, dans un organisme scolaire, exactement comme leurs parents en entreprise. N'y a-t-il pas déjà un déséquilibre fondamental ? Nous passons les trois quarts de notre temps non pas en famille, mais en société.
Cette société qui se veut éducative mais qui refuse de prendre ses responsabilités jusqu'au bout : former ! Former les "experts" à la vraie pédagogie, celle qui connecte, celle qui transmet la passion d'apprendre.
La pédagogie : ce talent qu'on croit inné mais qui s'apprend
La pédagogie, c'est comme la vision 👓. Tu peux avoir une acuité parfaite pour voir un tableau, mais être complètement myope quand il s'agit de percevoir ce qui se passe dans la tête d'un adolescent de 15 ans.
Tu as forcément eu ce prof affreux, complètement blasé, qui te transmettait une aversion durable pour sa matière. Et à l'inverse, tu as eu ce prof magicien qui t'a fait aimer les maths, l'histoire ou la littérature, simplement parce qu'il avait su parler ton langage, toucher tes émotions, allumer cette étincelle de curiosité.
La différence ? La pédagogie. Cette science de la transmission qui n'est PAS innée, contrairement aux idées reçues tenaces qui gangrènent notre système. On ne naît pas pédagogue, on le devient. Par la formation, l'expérimentation, l'empathie développée et la remise en question permanente.
Le conservatisme français : quand la tradition devient un carcan
Pendant que nous nous enlisons dans nos méthodes d'un autre âge - des journées entières assis sur une chaise -, d'autres pays innovent avec un courage que nous avons perdu en chemin.
En Suède, les élèves apprennent à se débrouiller en nature 🌳, dorment en tente, développent leur autonomie et leur résilience. En Allemagne, les journées scolaires se terminent tôt, laissant place à d'autres apprentissages, d'autres expériences. Ces pays ont compris que l'éducation ne se résume pas à un gavage intensif de connaissances dans des salles confinées.
Et devine quoi ? La science leur donne raison ! Une synthèse américaine de 2019 démontre qu'être en activité dans la nature améliore bien l'acquisition des apprentissages académiques et favorise en plus le développement personnel des enfants. Pas de la philanthropie new-age, de la science pure et dure !
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : après 20 minutes de marche dans un parc, des enfants avec troubles de l'attention se concentrent mieux qu'après une marche en milieu urbanisé. L'effet obtenu est comparable à celui d'un médicament ! Au Japon, les "bains de forêt" améliorent significativement l'humeur par rapport aux "bains de ville". En Suède, les élèves qui suivent des cours en extérieur montrent un plus haut niveau de rétention des connaissances à long terme.
Nous ? Nous continuons de jouer les Sisyphe de l'éducation, poussant inlassablement le même rocher vers le sommet, sans jamais nous demander si le chemin emprunté est le bon.
La psychologie humaine : cette grande oubliée du système
L'apprentissage, c'est comme l'amour. Tu ne peux pas forcer quelqu'un à aimer, mais tu peux créer les conditions pour espérer qu'une étincelle jaillisse. Et pour créer ces conditions, il faut comprendre la psychologie humaine, les mécanismes de motivation, les ressorts de l'engagement (non je te rassure je ne parle pas de manipulation dont on parlera dans un prochain article, promis !)
Un élève qui harcèle, pourquoi en arrive-t-il là ? N'est-il pas lui-même harcelé ? Un enfant qui décroche, qu'est-ce qui ne fonctionne pas dans sa relation à l'apprentissage ?
Ces questions fondamentales, nous les esquivons en permanence pour nous concentrer sur les symptômes plutôt que sur les causes.
La pédagogie dans le monde du travail : même combat
Cette cécité pédagogique ne s'arrête pas aux portes de l'école. Dans le monde professionnel, combien de managers ont-ils été formés à la pédagogie ? Combien de formateurs maîtrisent-ils réellement l'art de transmettre ?
La réponse est douloureuse : très peu. Nous reproduisons les mêmes erreurs, les mêmes méthodes inefficaces, les mêmes rapports de force stériles. Un cadre qui forme ses équipes avec la même approche qu'un prof blasé ne peut espérer que des résultats similaires : désengagement, démotivation, turnover.
Le budget : ce tabou qui tue l'innovation
Parlons argent, puisque c'est souvent là que le bât blesse. Un budget colossal doit être réinvesti dans l'enseignement si nous voulons que la France cesse de faire partie des plus mauvais élèves européens. Mais pas n'importe comment, pas pour ajouter des couches d'experts supplémentaires.
Il faut investir dans :
La formation pédagogique initiale ET continue des enseignants
La réduction drastique des effectifs par classe
La diversification des méthodes d'apprentissage
L'aménagement d'espaces éducatifs adaptés au XXIe siècle
Le développement d'outils numériques vraiment pédagogiques
Et là, petite parenthèse qui fâche 😡 : oui, d'autres écoles ont vu le jour ! Montessori, Steiner, écoles démocratiques, établissements alternatifs... Ces initiatives fourmillent d'idées pédagogiques révolutionnaires. Le hic ? Elles restent malheureusement encore trop orientées élitistes. Réservées à ceux qui ont les moyens de payer des frais de scolarité élevés ou qui habitent dans les "bons" quartiers.
Résultat : l'innovation pédagogique devient un privilège de classe sociale. Les familles populaires, elles, subissent le système traditionnel défaillant tandis que les plus aisées s'offrent la pédagogie de pointe. Un vrai coup bas à l'égalité républicaine !
Solutions en amont : penser la prévention plutôt que la réparation
Un bon médecin ne se contente pas de prescrire des antalgiques à un patient qui souffre chroniquement. Il cherche la cause du mal pour le traiter à la racine.
Nos solutions doivent être pensées EN AMONT :
➡️ Formation des futurs enseignants : Intégrer massivement la psychologie de l'adolescent, les neurosciences de l'apprentissage, les techniques de gestion de classe participatives.
➡️ Sensibilisation des parents : Créer de vrais espaces de dialogue et de formation pour les familles, pas de simples réunions d'information descendante.
➡️ Sanctions cohérentes : Développer un arsenal de mesures éducatives graduées qui responsabilisent plutôt qu'elles excluent.
➡️ Révolution des horaires : Expérimenter de nouveaux rythmes scolaires, inspirés des modèles scandinaves ou germaniques.
La responsabilité collective : arrêtons de jouer les autruches
🚨SPOILER ALERT 3 : Il est plus facile de critiquer que de faire, c'est vrai. Mais il est encore plus facile de fermer les yeux et de continuer comme avant. Or, "comme avant" ne fonctionne manifestement plus.
L'école française agonise sous le poids de ses contradictions :
Elle veut former des citoyens critiques mais fonctionne sur l'autoritarisme
Elle prône l'égalité des chances mais maintient un système profondément inégalitaire
Elle parle d'innovation pédagogique mais sanctuarise des méthodes d'un autre siècle
Elle déplore le manque de respect mais ne respecte pas les besoins fondamentaux de ses acteurs
L'urgence de la métamorphose
Nous souffrons collectivement d'une myopie institutionnelle aiguë.
Nous voyons parfaitement les problèmes à court terme (résultats aux évaluations, gestion des incidents, etc.) mais nous sommes incapables de distinguer les enjeux à long terme.
Cette myopie nous fait confondre mouvement et progrès. Nous multiplions les réformes de surface, les plans d'action, les groupes de travail, mais nous évitons soigneusement de questionner les fondements mêmes de notre approche éducative (comme d'autres institutions qui datent d'après-guerre et donc d'un contexte complètement différent ou les enjeux étaient différents : il est temps de se mettre à jour!).
Vers une pédagogie de l'émotion et de la connexion
L'être humain apprend par l'observation, l'émotion, l'amusement et/ou par le sens qu'il donne à ses apprentissages. Cette vérité, connue des neurosciences depuis des décennies, peine encore à irriguer nos pratiques.
Un enseignant qui passionne crée une connexion émotionnelle avec ses élèves. Il ne se contente pas de dérouler un programme, il raconte une histoire, il donne vie aux concepts, il adapte son discours à son public. Cette alchimie subtile, cette capacité à "parler le langage" de l'autre, c'est précisément ce qu'il faut enseigner à nos futurs formateurs.
Conclusion : l'heure du réveil sonne ⏰
Les chiffres sont têtus : les départs définitifs volontaires ont augmenté de 916% entre 2008 et 2021. Cette hémorragie n'est pas un accident, c'est le symptôme d'un système à bout de souffle.
Alors oui, il est temps de cesser de mettre des pansements sur les conséquences et de s'attaquer enfin aux causes racines. Il est temps de former nos enseignants à la vraie pédagogie, celle qui transforme, celle qui inspire, celle qui donne envie d'apprendre.
Il est temps de repenser fondamentalement notre rapport au temps scolaire, à l'autorité, à l'évaluation, à la transmission des savoirs.
L'école française peut-elle se réinventer ? La question n'est plus de savoir si elle le peut, mais si elle le veut vraiment. Car derrière chaque réforme ratée, derrière chaque plan d'action inefficace, se cache une même réalité : nous refusons de regarder la vérité en face.
Cette vérité ? L'éducation n'est pas une industrie de transformation de matières premières. C'est un art relationnel qui demande du temps, de la formation, des moyens et... de l'humilité.
Le réveil sera douloureux, mais il est devenu vital. Car au rythme actuel, nous risquons bien de former une génération d'élèves désabusée qui quitte le système pour aller voir ailleurs…et pourrons nous le leur reprocher ?
Là, ce serait le vrai naufrage.
Sources :
Statista : "France : nombre de démissions d'enseignants par niveau"
VousNousIls : "Démissions d'enseignants : les départs volontaires en hausse" (décembre 2024)
The Conversation : "Démissions d'enseignants : une question qui reste taboue"
Du pognon pour les profs : "Démissions des enseignants en France" (septembre 2024)
Ministère de l'Éducation nationale : "Santé scolaire : Agir pour les élèves, au cœur de l'École"
Sénat : Rapports sur l'évolution des démissions d'enseignants
Info.gouv.fr : "La santé mentale, Grande cause nationale en 2025"
Zoom Nature : "L'école dans la nature favorise les apprentissages" (2023)
Kuo M, Barnes M and Jordan C (2019). "Do Experiences With Nature Promote Learning? Converging Evidence of a Cause-and-Effect Relationship". Front. Psychol. 10:305.
Partager sur
Articles
récents
reste informé et Reçois le dernier article
Lilo Academy © Tous droits réservés - Réalisé avec 🤍 par










